Pochades


   En 54 j'étais à Hanoï au bar du Métropole buvant un cocktail avec des journalistes fatalistes. En 62, à Alger j'étais au bar de l'Aletti écoutant le crépitement lointain des armes et le pietinement de la révolte. Je ne suis pas resté au bar de la cafet' du théâtre pendant le Festival en 2011. Marie-Ange a rempli une nouvelle fois mon verre avec le vin du Festival et je suis allé m'asseoir au fond de la salle."T'inquiètes, y fait pas mal à la tête". "C'est vrai ?" Il a une belle couleur, un peu grenat, profond avec une viscosité légère, un nez généreux de fruits rouges. Une autre gorgée me met la soie aux tempes. J'ai peut-être éxagéré, abusé, on dit abusé.
          Je m'étonne qu'une lune blanche apparaisse sur les lointains. Malraux s'affale en face de moi, la main gauche enfouie dans la poche d'un veston trop grand, le visage découpé par des tics de langage. Pourtant, aucun son ne sort de ses lèvres minces. Je reste sans réaction. Il se calme et sort une liasse de billets. "J't'offre un verre ?" Cette fois j'ai entendu. Que va-t-il faire avec des piastres ? Au milieu du brouhaha alentour une voix chante "Opium", comme une lamentation. Personne ne fume ici. Mon verre est de nouveau plein. J'ai presqu'oublié mon corps. Le vin m'a donné soif. On serre mon épaule. Je lève la tête pour découvrir dans le miroir en face qui se trouve dans mon dos : Hemingway, barbe blanche, sourire. Je me retourne : "Ca fait plaisir de vous revoir" me dit Antoine Dulery. Parfois on fait de belles rencontres au Festival.
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